Caravans: about the trade which flourished in the area in the second quarter of the twentieth centuryLes caravanes《马帮》Autrefois, n'est-ce pas! Moi… eh bien… [le personnage dont je vais parler] c'était [un des] fils de ma grand-mère, n'est-ce pas!我要讲的是我姥姥的一个儿子的故事![Pour] nous, c'était un oncle! On l'appelait kɤ˧zo˧! [Son nom complet, c'était] kɤ˧zo˧-tsʰɯ˩ɻ̍˩; [mais] on l'appelait [simplement] kɤ˧zo˧ (=on l'appelait par la première partie de son prénom)!我们小的时候,就叫他“舅舅”!他的全名是kɤ˧zo˧-tsʰɯ˩ɻ̍˩,我们叫他kɤ˧zo˧!Lui, autrefois, il faisait du commerce par caravane! Il lui arrivait de participer à des caravanes pour le seigneur [de Yongning], autrefois! 以前他是跑马帮的!给永宁土司做马帮!Il conduisait plusieurs des chevaux du seigneur, autrefois. [De Yongning jusqu'à] Lhasa, il menait les chevaux. On amenait les chevaux, (et) on partait en caravane. 他可以同时赶着土司的好几匹马上路,到拉萨。货物捆在马上就出发!Alors, quand partait la caravane, nous autres, on venait [participer aux préparatifs]; le jour où partait la caravane, pour ce qui est de la nourriture des chevaux, [on préparait de] la farine, n'est-ce pas! autrefois! 当马队要出发的时候,全家人都来壮行,帮着准备马吃的粮食粉。Si on partait pour une durée d'un mois (littéralement: "si on habitait [hors de chez soi] pour une durée d'un mois"), on préparait de la farine pour les chevaux pour un mois! (Note: il pouvait s'agir de diverses céréales: maïs, blé, sorgho…)如果要出门一个月,就给马准备一个月的口粮。ensuite, on l'emportait/on la transportait [avec la caravane]! sur les chevaux! Quand on partait de la maison, on la transportait, on l'emmenait [avec soi]!把粮食驮在马上,出发的时候带着粮食!Quand on allait à Lhasa, au retour, [on rapportait] du thé! Du beurre[, aussi]! On ramenait [ces produits-là], à dos d'animaux! [Jusqu']à Yongning!从拉萨返程的时候,他们带货回来。有茶砖,有酥油!都驮在马身上,带回永宁。on transportait [des marchandises]! ensuite, on [les] vendait! Mon oncle, eh bien… on le désignait comme "chef de caravane", autrefois! Celui qui dirigeait des caravanes! On parlait du "chef de caravane", et des "palefreniers/caravaniers"!他们就这样运货回来,然后卖出去。我舅舅是马帮的首领。其他随行的人,叫“马夫”!les caravaniers un peu habiles, ils étaient sur l'un des deux chevaux de tête! Celui qui avait la première monture, ou la deuxième monture, il portait le titre de "chef de caravane"! (littéralement: 'on l'appelait "chef de caravane"!') (Note: il avait parmi ses responsabilités celle du choix des marchandises achetées à destination, avec le produit de la vente de ce que la caravane avait apporté. Les deux chevaux qui marchaient en tête étaient magnifiquement bridés et décorés.)马帮习惯上来说,骑在带队的第一匹马或者第二匹马上的人,就是“马帮头领”。Quant aux palefreniers, ils travaillaient pour lui (littéralement "ils transportaient pour lui"); [c'étaient] des assistants, des gens qui l'aidaient!马夫都为他效力!Ceux-là, on les appelait les palefreniers!他们就统称为“马夫”!Les gens disaient: "Oh! Voyez, il est en tête de la caravane! Ce sont les Latami qui dirigent la caravane!" (en réalité, une seule personne de la famille est présente dans la caravane; le pluriel reflète la gloire qui rejaillit sur toute la famille, non une pluralité d'individus)人们看了就会说:“看呢!他带着马帮!是拉他咪家的带着马帮!”on les appelait "les voyageurs" (littéralement "les gens qui parcourent les chemins")! Ceux qui partaient en caravane, autrefois, on les appelait "les voyageurs"!马帮的成员,我们就叫他们“赶路的”!Il rapportaient du thé, par caravane! Ils rapportaient du beurre, par caravane! (littéralement: "ils transportaient du beurre en caravane, et le rapportaient") On serrait [ces précieuses denrées] à la maison/ ces denrées venaient garnir les réserves à la maison!他们带着茶砖、带着酥油回来。我们把这些货物珍藏在家里。On rapportait [ces choses-là] jusqu'à la maison, depuis Lhasa; on apportait [ces choses] en caravane. On les stockait à Yongning. 他们带着货物从拉萨回来,存在永宁。Ensuite, on repartait de Yongning; à nouveau, [l'absence serait d']une durée d'un mois! Ou encore, d'une durée d'une vingtaine de jours!然后他们又从永宁出发。走大概一个月,或者二十天!On partait dans le Sichuan [vers Xichang]! Dans le Sichuan, euh… on y emmenait du thé; on chargeait du beurre et du thé sur les chevaux, et on allait vendre [tout ça] dans le Sichuan, autrefois!他们去四川(西昌附近)。去四川的时候,马驮上茶砖和酥油,去卖钱!Au Sichuan… on y restait un mois. Au… euh… Quand [ils] revenaient à la maison, ils nous ramenaient toutes sortes de cadeaux[, à nous qui étions restés à la maison]! 去四川一趟,需要大概一个月。他们回来的时候,给我们带来各种礼物!Pour un enfant: une paire de vêtements! Pour les frères et sœurs, pour vous… Pour sa mère, des vêtements, une jupe! Pour sa petite sœur, une jupe! Pour sa sœur aînée, une jupe!给孩子送一套衣服。给兄弟姐妹……给阿妈送件衣服,裙子什么的。给妹妹送条裙子!给姐姐送条裙子!Les filles, on n'était que trois, à cette époque! nous autres, à l'époque de ma grand-mère!那个时候,我们家里只有三个女孩。Des robes! Des vêtements! Des ceintures (gaines)! Il y avait ces trois sortes [de cadeaux pour les femmes de la maison]!裙子、上衣、大腰带:给家里的女人,有这样三种礼物!autrefois, le satin! La coiffe en fils tressés, qui sert à attacher la chevelure! (littéralement "à nouer la tête") 从前,用缎子发带绑头发!Tu as pris une photo de moi (quand je portais cette coiffe), non?你拍了我这样绑头发的照片,是吧?Eh bien c'est ce que tu as photographié, sur cette photo-là!就是那个照片上的发带!On parlait de "rapporter des coiffes du Sichuan"! Autrefois, à part celles qui venaient du Sichuan, les coiffes, ici, il n'en existait pas!我们说“从四川带回发带”:以前,没有从其它地方来的发带!Et jusqu'aux demoiselles de la noblesse, autrefois, eh bien… les coiffes, on allait les acheter dans le Sichuan!连贵族小姐,从前……发带,都是从四川买来的!Les gens qui allaient dans le Sichuan, on leur demandait d'acheter des coiffes! des coiffes en satin! 去四川的人,我们会托他们带回四川的缎子发带!Nous autres, autrefois, on portait les vêtements Na!以前,我们穿摩梭人的服装!Actuellement, on ne porte plus les vêtements Na!现在,实际上不穿了!Moi, j'en possède, des vêtements na, n'est-ce pas!我有摩梭人衣服,是吧!On mettait des vêtements na; le satin, il était acheté dans le Sichuan (=dans la région de Xichang)!我们穿上摩梭服装。缎子是从四川买回来的。Pour quelqu'un [qu'on appréciait, on rapportait] des cadeaux! 有喜欢的人,也会带礼物给她!Une coiffe, en satin! comme ça! Une très longue! (Note: sa longueur pouvait atteindre vingt mètres; on l'enroulait tour après tour sur la tête)这样的一个绑缎子的发型!是像这样的,发带长长的。"Eeeeh! Vous autres, votre grand frère va revenir!" [disait-on aux femmes dont un frère était parti en caravane] "Il va vous ramener des coiffes en satin!" Voilà ce qu'on disait, quand [une caravane] était partie au Sichuan!“你们大哥快回来了,要给你们带回缎子发带了!”马帮去四川的时候,大家都这么问候。Alors, [l'homme qui était parti avec les caravanes] ramenait à chacun un petit quelque chose; il ramenait un fardeau depuis le Sichuan; du Sichuan, on ramenait aussi du riz! 马帮的人,会从四川带给家人一人一件礼物。也带回来大米!On transportait du riz, et on le donnait au seigneur. Eh! Quand on revenait du Sichuan, on rapportait du riz, par caravane!把大米带回来,交给土司。从四川回来,就用马把大米驮回来!(remarque de l'enquêteur) On donnait [tout ça] au seigneur!-给土司!Oui, on donnait [tout ça] au seigneur! c'est le seigneur qui commanditait; c'est le seigneur qui commanditait les caravanes! 是,全部要给土司,因为是土司雇的马帮。C'est le seigneur qui commanditait les caravanes! Pour de vrai, on conduisait les chevaux du seigneur pendant un certain temps! (Explication: pendant un certain temps --une ou deux années--, on travaille pour le seigneur, ou pour autrui; pendant ce temps on épargne de l'argent pour s'acheter ses propres chevaux, et on devient son propre maître.)马帮是土司雇的!有一段时间就得完全为土司效力。Ou alors, si on avait un peu (d'argent), on achetait une mule! on achetait un cheval! et on faisait son propre chargement!有了自己的一点钱以后,就自己买马、买骡子!La maison… Voilà comment on chantait: "Si on ramène du thé de très loin, [mais] que sa mère n'est plus là [avec qui partager ce plaisir, parce qu'elle est morte pendant qu'on était au loin], quelle tristesse!"家里面呢……就像歌里唱的:“虽然从远方带来了茶,阿妈却无福享受了!”C'est qu'on ramenait du thé de très loin, n'est-ce pas! 茶是从很远的地方带来的,对吧!mais voilà que votre mère va mourir! dans l'histoire!但是在歌里,阿妈却要死了!alors, [auparavant] la mère n'avait pas thé à boire! Et voilà que maintenant elle est morte! Alors que du thé, par contre, on en a maintenant!从前,阿妈没有茶喝。现在有了,她却死了!茶反倒是有了!"Quand on a bu son content de racines de pivoine, et de thé, on est repu; mais si c'est pour que ma mère ne soit plus là (=mais si ma mère est morte tandis que j'étais au loin), alors c'est bien en vain!" (Texte d'une chanson qu'hommes et femmes chantaient autrefois)“我们喝白芍药根当茶,或者喝茶,感觉很爽!但如果阿妈已经不在人世了,就没意思了!”En montagne, on déterrait des racines de pivoine et on les rapportait chez soi, n'est-ce pas! On n'avait pas de thé, [alors] je faisais sans cesse des décoctions [des copeaux séchés de bulbes de pivoine] pour ma mère, et on buvait ça! (=et c'est ça qu'on buvait!) [Note: ce passage est une explication au sujet des bulbes de pivoine évoqués dans la chanson.]在山上,我们把白芍药根挖出来,然后带回家,对吧!我们没有茶喝,(就用这个代替,)我经常给我阿妈泡水喝。"Boire tout son content de racines de pivoine, [si ce n'est pas en compagnie de sa mère, des gens qu'on aime] c'est bien en vain! Ma mère est morte; alors à quoi bon!" Voilà ce qu'on disait. “舒舒服服喝着白芍药根,可现在没意思了!阿妈不在了,就没意思了!”Quand on avait ramené du thé de loin, s'il se trouvait que votre mère était morte entretemps, c'était bien triste! Voilà ce qu'on chantait autrefois!从远方带茶回来,回家发现阿妈已经去世了,这可真让人难过!从前,我们是这么唱的!Ainsi, quand il possédait [enfin les bonnes choses qu'il désirait], l'enfant était devenu quelqu'un d'accompli; il est parti chercher (la fortune), et il l'a obtenue, euh… il ramène du thé! Il ramène du sel! [Mais] alors…孩子长大成人,出去谋生路,衣锦还乡带回了茶、带回了盐巴,可是……"Hélas! Ma propre mère s'en est allée! (littéralement: "[je] n'ai plus ma propre mère") [Alors que justement] maintenant, j'ai tout ce que je veux à manger!" Voilà ce qu'on chantait!“可惜!亲生母亲已经走了!现在,我衣食无忧,可也没滋味了!”"Quand on a bu son content de racines de pivoine, et de thé, on est repu; mais si ma mère est morte tandis que j'étais au loin, alors c'est bien en vain!"“舒舒服服喝着白芍药根,可现在没意思了!阿妈不在了,就没意思了!”Voilà ce qu'on chantait, autrefois! Les gens qui étaient partis conduire des caravanes dans la montagne, voilà ce qu'ils chantaient!从前,就是这么唱的!马帮的人,在山上就是这么唱的!"J'ai ramené [une cargaison] de très loin; [mais] Mère n'est plus! Comme c'est désolant!"“我从很远的地方带回来了东西,阿妈却已不在人世,这可真是让人伤心!”On transportait du thé; on parvenait à la maison! Quand on partait transporter du thé, quand on n'obtenait pas de thé, on allait en montagne déterrer des bulbes de pivoines, qu'on (lui) donnait à boire (en décoction); comme sa mère est morte, qu'elle va mourir, ça n'a plus de sens!/quelle tristesse!人家从很远的地方带回了茶,带回到家里。没有茶,就去山上找白芍药根。如果母亲已经去世,就没意思了,真难过!On chantait: "Boire de la pivoine à satiété, ce n'est plus la peine! (=ma mère n'est plus là pour savourer toutes ces décoctions de pivoine!) Maman est morte; ce n'est plus la peine!"我们唱:“喝着白芍药根,也没有用了呀!阿妈去世了,没有用了!”On ramenait du thé, en caravane; "Hélas! Ma propre mère est morte! Sans ma mère, quelle tristesse!" Voilà ce qu'ils chantaient, les caravaniers, autrefois! 通过马帮带回了茶。“可惜!我的亲阿妈,已经去世啊!没有了阿妈,真难过呀!”马帮的人,从前就是这么唱的!Voilà comment ils partaient! Du Sichuan, ils ramenaient du riz, en caravane! Ils ramenaient des tissus, en caravane! Du tissu! On parlait du "tissu du Sichuan", autrefois!(马帮的人)是这样上路的!从四川带回来米,用马驮。他们带回布匹,用马驮。以前,我们就把它们叫做“四川料子”!Le tissu, il y en avait des pièces toutes blanches, comme ça; très longues, mesure après mesure! Eh!布匹料子,有全白的布料,像这样,很长,一幅一幅的!Avec une mesure, euh… Pour une robe… avec deux mesures, on ne pouvait faire qu'une seule robe! 一幅布呢……一条裙子需要两幅布![On offrait le tissu] de cette façon: on l'offrait à une personne par deux mesures; on l'achetait deux mesures par deux mesures, et on le ramenait! (=Lorsqu'on achetait du tissu, c'est comme ça qu'on raisonnait: on se demandait combien on voulait de paires de mesures =combien de robes on voulait en tirer!)是这样算的:两幅两幅地送人。是这么带回来的!On disait: "Aaaah! Ceux qui sont partis vers le Sichuan, ils vont ramener (de quoi faire) des robes!"人常说:“啊呀!去四川的人,会给带回来(做)裙子(的布料)!”les jeunes filles, les gens qui étaient partis en caravane, eh bien, si elle était l'amie d'un des jeunes gens, son ami lui ramenait (des cadeaux)!年轻姑娘,如果有人跟马帮中的年轻小伙子是朋友,他会给她带回来礼物的!C'est comme quand toi tu offres des choses à Xiaojun, n'est-ce pas! L'ami achetait [des cadeaux], qu'il ramenait! [Il] achetait des vêtements, qu'il ramenait! [Il] achetait une robe, qu'il ramenait!就像你给筱筠买礼物一样,对吧!朋友买礼物回来!买衣服、裙子什么的,给她带回来。"Eeeeh! Vous autres, votre ami va revenir! Vous allez pouvoir changer de vêtement! [Votre ami] s'en est allé en caravane!" Voilà ce qu'on disait, autrefois!“你们啊,你朋友要回来了,你就有新衣服可换了!”从前,就是这么打趣别人的!Quand on allait dans le Sichuan, le tissu de coton… on achetait du tissu de coton et on le ramenait! 去四川,买棉布带回来。Du sel? (mot dit par l'enquêteur)(调查者说:)(还有)盐巴(吗?)Du sel, oui! On allait à Chengdu! Chengdu, il y avait là-bas (=on y trouvait) du tissu de coton et… des coiffes en fil!盐巴,当然有啊!去成都,那儿有棉布、有发带!Le Sichuan, on en ramenait du sel! Je me suis trompée [dans ce que j'ai dit tout à l'heure]!从四川,也带回盐巴!刚才忘讲了!Le Sichuan, autrefois… le Sichuan, on allait y faire le commerce du sel, n'est-ce pas!以前,我们会去到四川做盐巴生意,是嘛!La ville de jɤ˧ŋɤ˧ (=Chengdu), c'est où (=c'est quoi son nom actuel)? Comment on l'appelle maintenant, je ne sais pas! (Question posée à l'enquêteur)jɤ˧ŋɤ˧这个城市,在什么地方呢?现在叫什么,我不知道!(注:jɤ˧ŋɤ˧是成都的摩梭名称)Il arrivait qu'[on] aille à un endroit qui s'appelait jɤ˧ŋɤ˧ (=l'actuel Chengdu), autrefois! Il arrivait qu'[on] aille à un endroit qui s'appelait ho˧di˧ (=l'actuel Sichuan: Yanyuan, Xichang…)!他们到一个我们称作jɤ˧ŋɤ˧的地方(=成都),又到一个我们称作ho˧di˧的地方(=盐源、西昌等四川省的地方)。Il arrivait [aussi] qu'[ils] aillent à un endroit qui s'appelait ə˧ti˥ (sans doute: l'actuel Weixi 维西), les gens qui partaient en caravane!还会去一个名叫ə˧ti˥的地方!(注:可能是维西) 马帮的人,会去这些地方!Voici comment on menait la caravane: pour les chevaux, on menait le cheval de tête et le second cheval, 马帮是这么安排马匹的:领头的马和第二匹马是有人骑的。Mon oncle, il conduisait le premier cheval, le deuxième cheval (les bêtes de tête)! L'oncle aîné! Voilà comment il conduisait [les bêtes]! 我舅舅,大舅舅,骑着领头的马或第二匹马。他是这样领着马队赶路的!L'oncle cadet, lui, eh bien… L'aîné des oncles, il partait en caravane! L'oncle aîné, eh bien, c'était un chef de caravane; on l'appelait "chef de caravane" / il portait le titre de "chef de caravane"! (mot tibétain) Aujourd'hui, on parle du "patron" (mot chinois), n'est-ce pas! / C'est l'équivalent de ce qu'on appellerait aujourd'hui "le patron" (mot chinois: 老板), n'est-ce pas!大舅,他曾经是马帮的首领,人家叫他“马帮头领”。也就是今天大家叫的“老板”,是吧!Eh! On lui confiait le rôle de chef de caravane, à l'aîné de mes oncles! On suivait le chef de caravane! (=Tout le monde le suivait/ il guidait toute la caravane)我的大舅,是马帮头领,带着整个马帮,大家都跟着他走!Quant à l'oncle cadet, eh bien, celui qui s'appelait ʈæ˧ʂɯ˧-pæ˩pʰæ˩, comme tu l'as écrit tout à l'heure dans ton livre (="comme tu l'as consigné tout à l'heure dans ta liste de vocabulaire!" Explication: ce matin-là, nous avions enquêté au sujet des prénoms), on le chargeait du rôle de palefrenier! Il mettait les charges sur les chevaux! Il menait paître les chevaux! 二舅,叫ʈæ˧ʂɯ˧-pæ˩pʰæ˩,你早上已经记下来了他的名字!他当马夫,把货物绑在马上、负责喂马!L'aîné des oncles, il était chef de caravane, on l'appelait "chef de caravane"!大舅是马帮首领,我们叫他“马帮头领”!On dormait le soir là où les chevaux étaient parvenus; comme on y passait la nuit, lui, il n'avait pas à mener paître les chevaux! Il se tenait assis <dans la hutte> [dans la tente]! (=Il était dispensé des corvées effectuées par les palefreniers)马能走到哪儿,晚上就在哪儿歇脚。在那边过夜,马帮头领就不用遛马去吃草。他在帐篷里休息。Autrefois, on appelait ça kv̩˧dʑɯ˧˥ (=tente)! On disait "tente"! Maintenant, on dit ʈʂæ˧˥pʰo˩ (mot chinois), hein! La tente, on en prend une bien blanche, et on la déplie! On empile les selles!白白的帐篷,可以折叠!马鞍要摞在一起!Le trajet (littéralement "la route")… [s'il dure] dix jours, [alors] pendant dix jours, en route… eh oui! on dort dehors: on dort sous la tente!如果脚程有十天,就睡十天帐篷!Si le trajet dure un mois, on habite un mois sous la tente!如果有一个月,就睡一个月帐篷!Voilà comment on revient en caravane! (=Voilà comment se passait un trajet aller-retour en caravane) Quand on revient d'un voyage en caravane dans le Sichuan… on parlait du "riz du Sichuan", autrefois!这就是马帮走一趟的情况!从四川赶马回来……我们以前叫“四川大米"!On parlait des "grands sacs en cuir du Sichuan"! Les sacs en cuir, il y en avait de gigantesques!也叫“四川大皮包”!大皮包,有非常大的!Quant à nous, les femmes, autrefois, on tissait le lin; et comme on tissait du lin, on allait le vendre dans le Sichuan!我们女人就织麻布,让他们拿到四川去卖!A chaque fois que les caravaniers partaient, ils emportaient tout le tissu de lin [qu'on avait fabriqué]; [mais] quand ils le vendaient dans le Sichuan, on n'en retirait pas d'argent! (ça ne se vendait pas bien cher!)每次马帮走的时候,他们把我们织的所有麻布都带走。但在四川卖不出什么钱来!Alors, le proverbe… voici ce que disait le proverbe: "Le Sichuan, on lui abandonne (on lui donne pour rien) notre tissu de lin; Lhasa, on y abandonne (on lui donne pour rien) nos fils!" (Explication: le tissu de lin partait pour le Sichuan, et il n'en revenait que de maigres sommes d'argent. Les fils partaient à Lhasa pour s'accomplir comme moines, ou pour faire du commerce, et beaucoup n'en revenaient pas ou ne revenaient que bien longtemps après, car un marchand ne revenait de Lhasa qu'après avoir fait fortune, et un bonze qu'après avoir acquis une grande notoriété, faute de quoi la crainte de faire honte à leur famille les dissuadait de revenir. Le chemin était long et ardu; beaucoup n'avaient pas les moyens d'entreprendre le voyage de retour, et demeuraient à Lhasa, vivant au jour le jour; d'autres disparaissaient en chemin.) 有句谚语:“四川扔麻布、拉萨扔儿子!”(说明:麻布在四川不值什么钱,就跟扔了一样。儿子去拉萨当喇嘛或者做买卖,等着功成名就才会回来。山高路远,很多人没有回家的盘缠,也有人失踪在路上。)Autrefois, quand il partait à Lhasa, [votre] fils, il n'en revenait pas!从前,儿子去了拉萨,就再也见不着他了!Dans le Sichuan, quand on y emmenait son tissu de lin, qu'on l'y vendait, eh bien, c'est comme si on le jetait [par la fenêtre]! (=on le vendait à vil prix; on n'en retirait presque aucun argent)在四川卖麻布,就像扔掉一样,拿不回什么钱。On revenait [les mains presque vides,] comme si on avait jeté [tout ses tissus]/comme si on s'en était débarrassé!两手空空回来,就像什么都没拿去!On n'obtenait guère d'argent!不赚什么钱!"On perd son tissu de lin dans le Sichuan; et son fils à Lhasa!" Voilà ce que disait le proverbe.所以有这句谚语:“四川扔麻布、拉萨扔儿子!”Autrefois, les femmes, en pleine nuit, [elles continuaient à tisser]; certaines s'endormaient; [leur tête tombaient en avant] Boum! [et cela les réveillait]; alors elles se remettaient à filer [le lin], filer [sans fin], comme ceci!从前,女人织布到深夜。瞌睡地头都撞到织机上了,撞醒了再继续织!Encore [et encore], elles filaient, filaient, filaient; et elles tissaient, tissaient des tissus; tout cela, pour aller le vendre dans le Sichuan!织啊,织啊,都为了拿到四川去卖!Quand on allait les vendre dans le Sichuan, les gens, certains, ceux qui ne pouvaient pas y aller [eux-mêmes], comme ils n'avaient pas [dans leur famille] de personnes qui participaient aux caravanes, ils confiaient [les tissus] aux caravaniers!家里人没有参加马帮的人家,就把布匹托给别人去卖。"Conduis donc mon cheval! Cette pièce de tissu de lin, vends-la pour moi!" On confiait [ainsi ces choses aux caravaniers].“请带着我的马驮着我这块麻布,帮我卖了吧!”Quand on avait confié [son tissu de lin], si cette personne parvenait à le vendre, il achetait des vêtements aux gens de là-bas, des tissus en coton (littéralement "[il] achetait leurs vêtements, leurs tissus en coton"), et il les ramenait [à Yongning].如果马帮的人给他卖成功了,就在那边(四川)给他买棉布带回永宁。Autrefois, sans les tissus du Sichuan (littéralement "sans le Sichuan"), je pense qu'on n'aurait pas eu de tissu de coton! [On y] achetait du tissu de coton, et on l'en ramenait!以前,没有四川的布料,我想可能就什么棉布都没有!都是在四川买的棉布,然后带回来!Quand on vendait le tissu de lin… Le tissu de lin, il y en avait [des piles] haut comme ça! Eeeeh! Quand on en faisait, il s'en empilait haut comme ça! On en pliait couche après couche, et on en pliait encore. Quand on quittait la maison [pour une expédition lointaine], on chargeait du tissu de lin [sur les bêtes de somme]! on en avait des quantités à vendre! 卖的麻布,有很多匹,能堆成这么高!我们把它一层一层折起来。马帮离家的时候,带着很多匹麻布!C'était ça [la seule chose] que les femmes envoyaient [vendre] par les caravanes! On le transportait par caravane, et on allait le vendre dans le Sichuan!这是女人唯一能托马帮卖的货物。让马帮带到四川去卖。Les choses du Sichuan, on les ramenait en caravane; à leur tour, on les vendait à Yongning, autrefois! Les voyageurs, voilà comment ils faisaient! A chaque fois qu'ils revenaient du Sichuan, ils ramenaient du tissu de coton; 四川的货物,quand ils allaient à Chengdu, eh bien… [ils ramenaient aussi] du tissu de coton! Il [me] semble qu'il y avait aussi de la soie [parmi les choses qu'ils en ramenaient].Chengdu, autrefois, [on en rapportait] de la soie!Il arrivait qu'on [en] ramène des vêtements en soie!Mon oncle, [pour] nous… les trois frères et sœurs… pour le petit frère, pour nous, pour le petit frère, il ramenait un habit masculin! (Note: c'était un vêtement que les hommes portaient à partir de 13 ans: sorte de veste serrée à la ceinture, qu'on portait par-dessus la chemise, dans les grandes occasions: mariage, invitations…) Il lui ramenait un habit masculin en soie!Pour nous autres, les trois [enfants qui n'avaient pas encore treize ans], il nous donnait une robe en soie! Maintenant… maintenant, actuellement, à la télévision, comme [les vêtements] des femmes, une robe en soie! (=C'est comme la sorte de vêtements de soie des dames qu'on voit à la télévision, dans les films historiques!)[Notre oncle] nous en achetait un chacun, et nous le rapportait!Pour ce qui est des chaussures, on cousait le cuir, il y en avait de vraiment magnifiques! Elles n'étaient pas comme celles d'aujourd'hui! <Et alors, les gens nous disaient:>On nous disait: "Eh bien! Vous voici comblés! Votre oncle chef de caravane va revenir, et il va vous donner des vêtements neufs!" (littéralement: "va vous faire changer de vêtements")Autrefois, l'oncle, envers nous, qu'est-ce qu'il était généreux! L'oncle, il achetait toutes sortes de choses, qu'il nous offrait!Les neveux et nièces qui avaient un oncle [capable], ceux-là, ils recevaient de beaux vêtements /de nouveaux vêtements, autrefois! (Littéralement "les gens qui avaient un oncle, [ces] gens-là, ils pouvaient changer de vêtement")Et pour la nourriture, ils avaient de bonnes choses à manger!Les gens qui n'avaient rien, l'oncle les faisait venir [à la maison]! (L'oncle était généreux avec les gens pauvres, il les accueillait à la maison) Il conduisait les chevaux [des caravanes]/ il participait au commerce par caravane. Les chevaux, [il en avait] dix.Deux personnes [de la famille] partaient [en caravane]: il y en avait un qui jouait le rôle de palefrenier, et un qui était chef de caravane! C'est qu'ils conduisaient [pas moins de] dix [chevaux]!Si une seule personne y allait, elle conduisait quatre [chevaux]!Si on conduisait huit [chevaux], là, [on y allait à] deux!Ainsi, il y avait deux palafreniers, deux chefs de caravane; voilà comme ils partaient, Ceux qui étaient palefreniers, ceux-là, quand ils arrivent à la ville, ils mettent les chevaux (à l'étable), ils leur donnent à boire, ils leur donnent du grain; ils leur donnent du picotin de maïs, ils les font manger; quand ils ont fini, ils les mènent encore paître sur la montagne (=ils doivent encore les mener paître en montagne).Les chefs de caravane, eux, ils se promènent dans la ville! ils achètent des choses, euh… ils les rangent [parmi leur cargaison]!Après, un certain jour, à nouveau, ils annoncent: "ce soir, nous deux, on dormira à lo˧ʂv̩˩! (=Luoshui, au bord du Lac) Demain, on parviendra à lo˧gv̩˩! (=l'actuel Ninglang)" Autrefois, quand on se mettait en route depuis Yongning, on passait la nuit à lo˧gv̩˩! (=l'actuel Ninglang) On conduisait la caravane!Quand on se mettait en route depuis Ninglang, on passait la nuit à pæ˧ɻæ˩ʈʂʰo˩! (l'actuel 红桥)Depuis pæ˧ɻæ˩ʈʂʰo˩ (l'actuel 红桥), on ne peut parvenir que jusqu'à lo˧gv̩˩ (=l'actuel Ninglang) [en une journée de marche].De Yongning à Ninglang (littéralement: "Yongning et Ninglang"), le trajet comportait trois étapes (trois nuits en route), autrefois! Trois nuits! (Note: autrefois, il fallait trois jours entre Ninglang et Yongning; sept jours entre Lijiang et Yongning; trois mois entre Yongning et Lhasa.)Au déjeuner, à nouveau, on ôte leur selle aux chevaux, on prend un repas (littéralement "on mange une nouvelle fois"). A nouveau, on mène paître les chevaux; à nouveau, [on les] selle! A nouveau, le soir, on ôte leurs selles aux chevaux; là où on doit passer la nuit, on prépare le campement! Des hôtels (littéralement: "des maisons") comme maintenant, ça n'existait pas!On dormait au bord du chemin, et voilà tout! En pleine montagne! Et ainsi, une nuit, puis une nuit, puis une nuit… [Pour arriver à] lo˧gv̩˩ (=l'actuel Ninglang), il fallait trois nuits!Depuis Yongning, pour gagner Lijiang, il fallait sept nuits, autrefois! Autrefois, on n'empruntait pas le même chemin que maintenant (littéralement "on ne rentrait pas comme ça")! (Note: la route actuelle traverse le fleuve Yangtze nettement plus en aval que là où les caravaniers qui allaient de Lijiang à Yongning le passaient autrefois.)On revenait en passant par le glacier de Lijiang (=l'actuelle mont Yulong)!Pour passer par le glacier de Lijiang, on vous faisait passer au-dessus du Yangtze, autrefois; les chevaux, on les attachait à la navette! (/mo˧qʰwɤ˥/: navette en bois qui coulissait sur la corde)Une corde! Quand, avec une corde, on avait attaché les chevaux, au-dessus du Yangtze, zou!!! on l'envoyait par là-bas! (=on le lançait sur la corde au-dessus du fleuve, dans le sens de la descente)De l'autre côté, sur la falaise, il y en a un qui… qui agrippe [le cheval qui vient de passer la rivière]; la navette en bois, on la renvoie [par l'autre pont de corde, dont l'inclinaison permet le passage dans l'autre sens]; et à nouveau, on mène un autre cheval, et… [on] attache un [autre] cheval [pour le passage du pont]! Le cheval… on attache le cheval! On l'envoie comme ça, dans la direction [de l'autre rive]!En caravane, les choses, on les attache soi-même[lors du passage du pont]! On les envoie ainsi de l'autre côté; On appelait ça "passer le Yangtze", autrefois! "Eeeh! Ce soir, les caravaniers, ils vont parvenir au Yangtze!" [se racontaient les membres de la famille restés à la maison]Les femmes de la famille, elles comptaient [les jours]! où [ils étaient parvenus], combien de nuits [ils devraient encore passer au dehors avant de rentrer]… / Ils doivent être parvenus ici, ils doivent être parvenus là; en tant de jours, ils seront ici, puis là, puis là…Des téléphones comme maintenant, ça n'existait pas!Pendant une durée de combien de jours… par rapport à ici, s'ils ne revenaient pas pendant quelques jours [après la date escomptée pour le retour], [la famille commençait à s'inquiéter:] "Hélas! Auraient-ils rencontré des brigants/Se pourrait-il qu'ils soient tombés sur des brigands?""Hélas! Mon fils ne revient pas!" [Sa] mère était très inquiète! Elle courait de droite et de gauche; hélas! ici… "Il paraît que quelques personnes du village de gæ˧ɻæ˩ [proche de Yongning] y sont allées (=faisaient partie de la même caravane); sont-elles revenues?" Ensuite elle repartait à la course, à nouveau elle posait des questions aux femmes [des diverses maisonnées]!Des téléphones comme maintenant, ça n'existait pas! (littéralement: "ton téléphone, ça n'existait pas!") (Explication: par nécessité, je possède un téléphone portable en Chine; la locutrice fait partie des très rares personnes que je connais qui n'en utilisent pas.)[On demandait des nouvelles] aux gens qu'on connaissait, aux amis! nous deux… toi… si on est parti ensemble, tous les deux, eh bien, si tu es parti devant [=si tu es rentré en premier], c'est à toi que [ma famille] demande[ra des nouvelles], n'est-ce pas! puisque je ne reviens pas!si c'est moi qui reviens en premier, c'est à moi qu'on demande![La personne interrogée] disait: "Oooh! Eux, ce soir, ils arriveront ici! Ne vous faites pas de souci!"Voilà ce qu'on disait!Et comme ça, mes oncles… mon oncle qui s'appelait pæ˩pʰæ˧˥, il était rudement intelligent!Celui qui s'appelait kɤ˧zo˧, il était chef de caravane! Il achetait les choses / C'est lui qui était chargé des achats! C'est lui qui portait l'argent!Celui qui s'appelait pæ˩pʰæ˧˥, la nourriture des chevaux… il prenait soin des chevaux! (emprunt chinois) Voilà ce qu'il faisait! Il s'occupait (mot na) des chevaux! Ils faisaient comme ça; ils partaient!Depuis Lhasa, on menait la caravane, on déposait [les marchandises] à la maison! Depuis la maison, on transportait [les marchandises], mmh… on emportait les marchandises, on les emportait à Chengdu! [Depuis] Chengdu, euh… on transportait [des marchandises] jusque dans le Sichuan! (Aux environs de Xichang, Yanyuan…)Dans les régions chinoises… nous autres, autrefois, on appelait tout "les régions chinoises"[, sans faire de différences/de façon indifférenciée], n'est-ce pas! Eh! Quand on ne savait pas où c'était (=où quelqu'un était parti au juste: Chengdu, Xichang, Kunming…), on disait: "[Il] est parti en pays chinois!"On disait: "Aujourd'hui, c'est parti pour les contrées chinoises!" On disait: C'est parti pour le riz!/ Ce coup-ci, on est parti pour une cargaison de riz!" C'est qu'autrefois, à Yongning, il n'y avait pas de riz!On n'avait que le riz qui était amené par caravane depuis les contrées chinoises!Alors, vrai de vrai, le seigneur, avec l'aide des Chinois, il a compris petit à petit; alors, quelques familles de Chinois se sont installés; et comme ils plantaient quelques parcelles [de riz], eh bien… en commençant par ces quelques familles-là, [ça s'est transmis de proche en proche:] vous, vous plantez une parcelle; nous; on plante une parcelle; c'est simplement comme ça qu'on plante (=que cette culture s'est répandue)!Auparavant, dans la plaine de Yongning, on ne plantait pas de riz!C'étaient des gens de l'extérieur qui l'apportaient! Des marchands! C'étaient les caravanes [qui apportaient le riz]! Ils faisaient du commerce. Les chevaux, le cheval de tête, le second cheval, pour de vrai… les chevaux, il y en avait trente, quarante, cinquante comme ça, qui se suivaient! Dans la plaine de Yongning, il y avait une troupe [de chevaux] qui appartenait aux gens du village de qʰæ˧tɕʰi˧; une à nous, les gens de ə˧lɑ˧-ʁwɤ˧; une des gens du village de gæ˧ɻæ˩! une des gens de la montagne lɑ˧ŋwɤ˧! une des gens du village de ʈʂo˧ʂɯ˧!Comme on se connaissait, comme on était amis, les amis… les amis… toi, tu me comprends; moi, je te comprends (=on se comprend bien); on partait ensemble, en une même troupe! Les chevaux, à partir d'ici, ils se suivaient, en une longue file: "gling, gling, gling!" On leur accrochait des clochettes pour le cou! On leur accrochait des clochettes pour le poitrail, ding, ding, ding! [bruit des petites clochettes] Brroum, brroum, brroum! [bruit des grosses cloches; il y avait toutes sortes de cloches, dont de très grosses pour les mules, qui rendaient un son plus grave]Nous autres, [dès qu'ils étaient parvenus] au col… les gens de la maisonnée, nous… à partir du moment où [la caravane à laquelle participaient des gens de la maison] s'apprêtait à entrer en ville, les chevaux en marche, on parvenait à reconnaître leur bruit particulier! (littéralement: "à les entendre")Les chevaux en marche, on les entendait! On disait: "Ooh! Ils arrivent! Ils arrivent! Ooh! Il y a les cloches du cheval de tête qui sonnent!"Voilà ce qu'on disait!Alors, de la sorte, mon oncle, ces choses-là… il conduisait les chevaux, encore et encore; au monastère de ɖæ˩mi˧… eh bien… on conduisait les caravanes du seigneur; les gens du seigneur conduisaient les caravanes, on les envoyait conduire les chevaux! On confiait [à mon oncle] la charge de conduire la monture de tête; [ou] la charge de conduire la deuxième monture. Il conduisait les chevaux du seigneur!En vérité, ne pas conduire les chevaux du seigneur (=ne pas travailler pour le seigneur, mais se mettre à son compte), faire son propre commerce, obtenir [des bénéfices] petit à petit, acheter sa propre mule… Les mules, [il y en avait] une pour marcher en tête, une pour marcher en second… un cheval, et euh… encore une mule! On en avait sept, nous, à la maison, autrefois!Ces sept-là, c'était mon oncle aîné (=frère aîné de la mère) qui les conduisait!mon oncle cadet l'aidait; quand ils étaient partis en caravane, sur le chemin, [ils savaient qu']à cet endroit, on se faisait attaquer par des brigands / cet endroit, il était menacé par des brigands; ainsi, ils ne se faisaient pas attaquer/ ils déjouaient les brigands! [Note: les brigands connaissaient les caravaniers; ils choisissaient à qui ils s'attaquaient; certains caravaniers qui entretenaient de bonnes relations avec les chefs des brigands --désignés eux aussi comme 'chefs': /kʰv̩˧mæ˧-ʁo˧mi˧/, ton M-- étaient épargnés; des brigands qui s'en seraient pris à eux auraient eu affaire à leurs chefs.]Mon oncle cadet, il était assez habile! Autrefois, les caravaniers, ils se faisaient dévaliser par les bandits, n'est-ce pas! Quand on ramenait [les marchandises] en caravane, qu'on allait arriver à la maison, quand on passait le Yangtze, qu'on parvenait au pied du Glacier de Lijiang (=la montagne Yulong), les brigands dévalisaient tout, et emportaient tout avec eux!Le cheval revenait à vide! (=Les brigands volaient toutes les marchandises, et laissaient souvent repartir les chevaux; il était plus difficile de faire du recel et de la revente de chevaux, plus difficiles à cacher, tandis que les marchandises pouvaient aisément être dissimulées, l'argent enfoui…)Autrefois, mes chevaux (=les chevaux de ma famille), on nous en a dérobé cinq!ceux d'une des familles du village, euh… autrefois, une famille a employé un de mes oncles, l'a employé pour partir en caravane; ça devait être des gens de lo˧gv̩˩ (Ninglang)!Autrefois, Ninglang, on l'appelait lo˧gv̩˩, n'est-ce pas! Ca devait être [la caravane] d'une famille de gens de lo˧gv̩˩!Cette famille, ils avaient pris cinq employés/engagé cinq hommes! Cinq de la famille Latami! et dix chevaux; eh bien, les brigands, ils ont volé le tout!On n'y pouvait rien/il n'y avait rien à faire! Mon oncle, ils lui ont enlevé tous ses vêtements, et ils sont partis avec! (datation approximative des événements: la locutrice avait déjà dix ans; elle s'en souvient car son oncle lui avait promis de petites babioles en argent, et la nièce triste et déçue se souvient de son retour sans fanfare)Houlà! Ca nous flanquait une belle frousse! Voici ce que disait ma grand-mère: "S'il n'y a plus d'argent, eh bien qu'il n'y en ait plus/ qu'il s'épuise[, ça n'est pas grave]! Si mes fils s'en vont, je ne les verrai plus!"On a rassemblé tous les gens du village pour aller le chercher; à la nuit, mon oncle est revenu!Il n'avait pas de vêtements, rien sur lui! (=il était tout nu!)Il leur avait même donné sa culotte/Il avait dû leur donner jusqu'à sa culotte!Ils avaient complètement épluché les gens, et ils avaient emporté leurs vêtements! Ils avaient aussi emmené tous les chevaux!Voilà comment ça s'est passé, une fois! [Note: l'oncle qui s'est ainsi fait dépouiller était le second de la fratrie]"N'ayez crainte, n'ayez crainte!" a dit l'aîné des oncles. "De quoi on devrait avoir peur? (littéralement "Quel sujet de peur y a-t-il [donc]?") Moi, je vais racheter [autant de choses que tout ce qui a été perdu]!" [L'oncle ainsi dépouillé avait emmené, parmi les marchandises de la caravane, certaines qui appartenaient à la famille, et la famille était donc attristée de cette perte.]Et ensuite, il a acheté des choses, et vrai de vrai, il les a emmenée [en caravane]! Comme il avait procédé ainsi, eh bien…Je réfléchis… ə˧ti˥dzi˩, c'était où, va savoir! Moi, je ne sais pas!ə˧ti˥dzi˩… quand on allait à ə˧ti˥dzi˩, est-ce qu'on ne revenait pas par le Yangtze?[Ah, la localité en question s'appelait] ə˧ti˥dzi˩! (dit par l'enquêteur)Oui, ə˧ti˥dzi˩! Alors, est-ce que ce serait l'endroit qu'on appelle "Baoshan"?Baoshan et… pour employer les mots d'aujourd'hui, on parle de "Baoshan" et "Fengke", de ces choses-là! en chinois!Cet endroit-là, celui qu'on appelait ə˧ti˥dzi˩, autrefois, qu'est-ce que le commerce y était bon! / on y faisait un commerce fabuleux!On parlait des "vêtements de ə˧ti˥dzi˩"! Les vêtements… c'était en tissu de coton, n'est-ce pas! Pièce après pièce, pièce après pièce, qu'est-ce qu'ils en ramenaient! / on en ramenait de grandes quantités! On le ramenait par caravane; dans la plaine de Yongning, les femmes, elles changeaient de vêtements! les vêtements, elles en achetaient![Il y avait aussi] les ceintures de ə˧ti˥dzi˩; une ceinture, ça se vendait un yuan! Une pièce d'argent, d'autrefois!Alors, ça, ça avait vraiment de la valeur! [mot chinois] Euh… c'était très coûteux, n'est-ce pas! [ça valait] Une pièce d'argent!Cette famille, quand elle avait accumulé dix pièces d'argent à la maison, cette année-ci, elle avait toutes sortes de choses à manger en abondance!Qui donc avait de l'argent par liasses [entières], comme de nos jours? (=Autrefois, on avait peu d'argent/ il circulait seulement de petites quantités d'argent)On parlait de "une pièce d'argent"! Autrefois, on parlait de "un yuan d'argent"! On parlait de pièces d'argent! De pièces d'argent, n'est-ce pas! Une pièce d'argent!Une jupe, ça coûtait précisément trois [pièces]! Trois pièces d'argent!Autrefois, une jupe pour femme, [ça coûtait] trois pièces d'argent!Ainsi, les gens qui partaient en caravane emportaient [ces vêtements pour les vendre]. Mon oncle, pour de vrai, il conduisait des caravanes! Autrefois, il allait partout! Les caravaniers, ils allaient à Muli! Ceux de la famille du seigneur… on les appelait "les kv̩˧tsʰɑ˥$ de Muli"!En fait, à mon oncle… autrefois, comme on connaissait [le seigneur du monastère de Yongning, et qu'il connaissait les qualités des hommes de la famille], il a donné [mon oncle] à kv̩˧tsʰɑ˥$ (=au seigneur de Muli)! (Résumé de cette histoire: Un des oncles de F4 a été donné au seigneur de Muli par le seigneur de Yongning, pour être à son service; mais après sept ans, il s'est échappé de Muli, où le travail devait être trop dur et il ne s'était pas accoutumé; et il est revenu à Yongning. A son retour il parlait couramment le prinmi.)Les kv̩˧tsʰɑ˥$… on dit qu'on l'a donné aux kv̩˧tsʰɑ˥$!C'est que les seigneurs formaient une seule famille! (=le seigneur de Yongning et celui de Muli étaient amis, et ils s'envoyaient mutuellement des présents, dont des gens) Alors, il est allé habité auprès de la famille kv̩˧tsʰɑ˥$Quand on l'a eu envoyé auprès du seigneur de Muli, il a conduit des caravanes (pour ce seigneur).Quand il revenait en caravane, il donnait au seigneur du monastère [ce qu'il avait rapporté]!Quand il le donnait au seigneur du monastère, eh bien, à leur tour, les seigneurs du monastère l'expédiait [vers d'autres destinations]!Une fois la caravane terminée, il retournait jouer son rôle de sujet des kv̩˧tsʰɑ˥$ (=des seigneurs de Muli)!Les seigneurs de Muli et du monastère étaient liés [par des liens familiaux]![Les seigneurs de] Muli, ils étaient comme des gens du monastère [de Yongning]!Ils étaient des gens [de la famille] du seigneur du monastère [de Yongning]! Comme des frères! (Explication: le seigneur de Muli était Prinmi, et le seigneur de Yongning était Na, mais ils étaient liés par des alliances familiales; d'après les souvenirs de la locutrice, une princesse de Yongning avait épousé un seigneur de Muli.)Si tu manques de quelque chose (littéralement: "si je n'ai pas"), je t'en donne! Si je manque de quelque chose, tu m'en donnes! / Ils étaient solidaires, ils s'épaulaient en cas de besoin![Par exemple] S'il y a beaucoup de gens par chez moi, je t'en donne (je t'offre des sujets)! Eh! Toi, cette personne-là, le seigneur te commande d'aller quelque part/ te donne un ordre!Alors, [les gens d']une des parties (=les sujets du seigneur de Yongning) pouvaient être mis au service du seigneur de Muli! Des gens du monastère (=de Yongning) [pouvaient être donnés au seigneur de Muli]! Alors, mon oncle, autrefois, les seigneurs du monastère de Yongning l'ont envoyé servir un temps les seigneurs de Muli!Alors, comme on l'envoyait travailler un temps auprès du seigneur de Muli… autrefois, eh bien… les jeunes filles, n'est-ce pas! Avec les jeunes filles, autrefois, [il] s'est amusé, n'est-ce pas! / Il a conté fleurette aux jeunes filles, dans le temps, à ce qu'on raconte!Et à force de s'amuser, de s'amuser… le seigneur de Muli, lui… [mon oncle,] il s'est amusé avec une bonne amie du seigneur de Muli!Alors, le seigneur de Muli s'est fâché! et il l'a fait retourner (à Yongning)! Il l'a rendu (littéralement "donné") au seigneur du monastère [de Yongning]!Comme on allait le rendre au seigneur du monastère [littéralement: "comme on le donnait au seigneur du monastère"], mon oncle a dit: "Ca ne marche pas comme ça!/Non! Je ne veux pas être le sujet du seigneur du monastère (de Yongning)![Je ne veux pas non plus] être sujet du seigneur de Muli! Je vais conduire mes propres chevaux/ constituer ma propre caravane!" Ce que disant, il a conduit une caravane / il est parti conduire ses propres caravanes, à ce qu'on dit!Dans notre village, des [gens] qui conduisaient les caravanes, il n'y avait que mon oncle, cette seule famille! [Qui conduisait] les chevaux!Alors, famille après famille (=toutes les familles [du village]), celles qui avaient un cheval, elles lui disaient: "Oncle, s'il vous plaît! Oncle kɤ˧zo˧, conduisez-le [=conduisez notre cheval chargé de ses marchandises]! On vous en prie! On partagera les bénéfices (littéralement "le prix du sel et le prix du thé") [avec vous]!" Eh! "[Vous] achèterez du sel et nous le ramènerez, vous achèterez du thé et le ramènerez!" disaient-ils, et ils lui confiaient [leur cheval chargé de ses marchandises]! Ils le faisaient conduire le cheval!Autrefois, eh bien, les gens comme [lui], eh bien… Dans la société d'aujourd'hui (littéralement "comme les gens d'aujourd'hui"), c'est devenu "le patron"! / Les gens comme lui, eh bien, aujourd'hui, on les désignerait comme des "patrons"! (老板)[Quelqu'un de] remarquable, n'est-ce pas!Ainsi, il partait en caravane! Il dormait n'importe où[, au hasard des étapes]!Les chevaux, il en achetait un, puis deux! Quand il en avait deux, il en achetait trois! (=il se constituait progressivement sa propre caravane) C'est ainsi qu'il est devenu un patron! (mot chinois; autrefois, on aurait dit: tsʰo˧pæ#˥ "chef de caravane")Quand il est devenu son propre patron, eh bien, autrefois… [il est parti dans] le Sichuan! Le Sichuan… le monastère… les seigneurs du monastère l'ont envoyé dans le Sichuan faire le commerce du riz (=acheter du riz); il a ramené du riz du Sichuan, par caravane!Ensuite, il livrait [ce riz] au monastère! Après, les gens du monastère, à leur tour/à nouveau, ils emportaient le riz par caravane; ils commanditaient une livraison à Lhasa!Autrefois, Lhasa [c'était une destination importante]! Toi, réellement, tu faisais du commerce en caravane; depuis Yongning (littéralement: "à Yongning"), on montait par caravane [les marchandises jusqu'à Lhasa]!Les [marchandises] de Lhasa, on les descendait par caravane [vers Yongning et les plaines chinoises]! [A l'inverse,] on faisait monter en caravane [les marchandises] de Zhongdian [jusqu'à Lhasa]!Autrefois, il y avait vraiment des caravanes de partout!/ c'était vraiment l'époque des caravanes! Personne ne restait chez lui à rien faire[, les hommes valides couraient les routes, avec les caravanes]! (littéralement "il n'y avait pas de sièges dans les maisons"; c'est-à-dire "personne ne restait assis à ne rien faire") [Pour] les hommes[, c'était comme ça!] On menait les caravanes!Pendant la saison des pluies, les femmes, comme [les hommes] étaient de retour [avec leurs bêtes], elles coupaient de l'herbe pour les chevaux! elles ramassaient de la nourriture pour les chevaux! (Explication: pendant la saison des pluies, on ne se déplaçait guère; les caravanes ne se déplaçaient que pendant la saison sèche, où les chemins étaient plus pratiquables.)Voilà comment on faisait; et alors, quand arrivait la saison sèche, les gens qui avaient des chevaux, on disait qu'on allait les faire changer de vêtements! (façon métonymique de désigner leur départ en caravane: au retour des voyages en caravane, on avait généralement de nouveaux vêtements) [Les hommes partis en caravane] achetaient des choses, et les ramenaient!Pour les gens qui n'avaient pas [de chevaux], on achetait [aussi] des choses, [et] on [les leur] vendait!A la maison… c'est que, dans le temps (littéralement: "comme autrefois"), des boutiques, il n'y en avait pas, n'est-ce pas! Autrefois!Il n'y avait que ce que ramenaient les caravaniers!Si dans un village il y avait trois ou quatre hommes qui faisaient du commerce par caravane… comme c'est nous qui ramenions [des marchandises], c'est à ma maison qu'on venait l'acheter![Les gens du village] disaient: "Eeeeh bien! Qu'avez-vous donc rapporté? / Alors, qu'est-ce que vous avez rapporté de beau?"[Il leur était répondu:] "Nous, cette fois-ci, on a ramené des bols (=de la vaisselle)!" [Ou encore:] "On a ramené du tissu de coton!""Aaaah! [Alors] vendez-moi deux dizaines de bols!" disait[-on]. (Les bols se vendaient par dix; pour le transport, on rembourrait les caisses avec du foin.)Un lot de dix bols, ça valait deux yuan d'argent, autrefois! Deux pièces d'argent!C'était vraiment cher, n'est-ce pas! C'était très coûteux, n'est-ce pas!C'est que les gens revenaient de vraiment loin [avec ces marchandises]!Alors, mon oncle aîné racontait: autrefois, quand il allait en pays chinois, eh bien… moi… ce que mon oncle aîné m'a raconté autrefois, [ça ressemble à] ce que je vois chaque jour à la télévision! (Note: la locutrice est friande de séries télévisées historiques où l'on voit des scènes de la Chine de l'ancien temps; elle juge que les scènes de rue, les vêtements, les marchés… ressemblent au portrait que lui brossait son oncle des contrées chinoises qu'il visitait lors de ses voyages en caravane.)Autrefois, les Chinois, ils ont très tôt commencé à faire du commerce, n'est-ce pas! (=Bien avant que le commerce n'ait été répandu à Yongning, il était déjà florissant dans les contrées chinoises) Quand on allait dans les contrées chinoises, les choses… on amenait son cheval, et on l'attachait là! Et, eh bien… les choses… partout, on se promenait, euh… eh bien… (On amenait son cheval jusqu'en ville, puis on l'attachait, et on partait se promener par la ville!)On se promenait encore et encore; alors, les vêtements, [on regardait] lequel (vous) va bien, lequel ne (vous) va pas bien; quand on avait bien décidé (littéralement "quand on savait"), on achetait!Après, on les ramenait par caravane! et on les vendait à Yongning!Autrefois, c'est comme ça que… Les gens qui conduisaient les caravanes, qu'est-ce que c'était épuisant [comme travail], autrefois!Tous les frères et sœurs… on disait: "Lui, votre frère, il est parti en caravane! C'est [quelqu'un de] remarquable!""Même vos vêtements… vous allez avoir de bien belles choses à porter (=à vous mettre)!"[Tandis que] celles qui n'avaient pas de caravaniers [dans la famille], [elles devaient se contenter du] lin! On ne leur donnait que des jupes en lin! (=de confection locale, à Yongning)Les femmes, à longueur de journée, elle tissaient le lin! Elles filaient le chanvre.Toi… aujourd'hui, ils ne savent plus filer le chanvre, les enfants (=les jeunes)! Aujourd'hui, bien que nous on soit des Na[, les jeunes ont perdu ces techniques qui nous appartenaient]!Le chanvre blanchi, on le file comme ça; ensuite, le chanvre, on l'enroule comme ça [en bobines]!On l'enroule comme ça! On le file comme ça! On enroule, et on file!Toute la soirée, on filait ainsi, bobine après bobine! [Note: le travail de filage et tissage se faisait le soir; pendant la journée, on veillait aux travaux des champs et aux travaux ménagers]On lavait [le lin], on [le] faisait bouillir… Aïïïïïïïïïïe, qu'est-ce que c'était fatigant! Ainsi, en une année, on confectionnait une [seule] jupe!Les jupes, à la couture, ce truc-là, à cet endroit, ça frotte sur le corps! (explication: les coutures des tissus de lin sont relativement épaisses; quand on porte une charge sur le dos, les coutures frottent sur le corps, et peuvent le meurtrir) C'est que c'est dur[, ce genre de tissu]!Ca frotte [durement contre la peau]! [Mais] on met quand même ce vêtement[, si on n'a pas le choix]! Certains achetaient des tissus de coton et les ramenaient; la jupe en coton, on s'en servait comme vêtement pour se changer (=comme vêtement pour les grandes occasions)! Il ne fallait pas la porter quand on travaillait[, pour ne pas l'abîmer]!Voilà comment on faisait/on se comportait! Les hommes qui partaient en caravane, ils dormaient sur la montagne; là où ils étaient parvenus, ils coupaient du petit bois, celui dont on parlait tout à l'heure [allusion à une conversation de ce matin-là au sujet d'un des oncles de la narratrice]On y allait à deux, ensemble; l'un coupait du bois gorgé de sève pour faire partir le feu [note: il n'est pas facile de repérer les arbres qui présentent cette propriété]; l'autre cherchait du bois [ordinaire]. Un autre [allait] chercher de l'eau! Un autre faisait cuire la nourriture!Dans les coutumes d'antan… voilà comment on parlait: à la maison, les enfants, on leur donnait des ordres, quand ils ne voulaient pas se lever:"Maintenant vous allez faire comme les caravaniers! Y'en a un qui va chercher du bois! Y'en a un qui va puiser de l'eau! Y'en a un qui va faire le feu!"Voilà comment elles les envoyaient [chacun effectuer une certaine tâche]!Ceux qui parcouraient les chemins, ils couraient toutes sortes de dangers! / il pouvait vraiment leur arriver malheur! Ceux qui partaient en caravane! C'est que les chevaux, tu n'en avais pas qu'un ou deux [à t'occuper]! Les chevaux, il y en avait vingt, trente!Quand [le caravanier leur criait:] "wɤ-ɕjɤ-ɕjɤ!", les chevaux venaient d'eux-mêmes! Les chevaux, certains d'entre eux avaient comme nom /kʰɤ˧gɤ˧/! D'autres s'appelaient /ɻ̍˩pɑ˧/! Quand on criait les noms de ces deux-là (=ces deux noms), tous les chevaux venaient! [Explication: tous les chevaux accouraient, parce que la plupart d'entre eux portait l'un ou l'autre de ces deux noms; entre nom commun et nom propre: nom choisi pour l'animal, mais parmi un répertoire si restreint qu'il s'approche d'un nom commun]Certains d'entre eux, les chevaux… [Quand un homme] se tenait debout au col, qu'il appelait: "wɤ-ɕjɤ-ɕjɤ-ɕjɤ-ɕjɤ-ɕjɤ-ɕjɤ!", en secouant la sacoche à céréales, comme ça [note: il s'agissait d'une sacoche qu'on suspendait à la tête du cheval, et dans laquelle on lui donnait des céréales à manger]… comme les hommes lui avaient appris, qu'il connaissait les règles/ avait de bonnes habitudes, il n'était guère la peine d'aller le chercher / ce n'était pas la peine de courir après[, il venait de lui-même]! Tu vois… Comme le cheval de la maison, nous deux… toi… nous deux, la façon dont on a dû aller chercher le cheval… (Allusion à un épisode de mon séjour à Yongning: le cheval de la famille était perdu, on ne le retrouvait plus; les chevaux paissaient ensemble en liberté dans les champs fauchés; le cheval s'était aventuré très loin de la maison) Ainsi, quand on part en caravane, on y va… la jument reste à la maison! (pour donner naissance à des poulains)La jument, ce sont les femmes qui l'élèvent / qui s'en occupent!Autrefois, toi, … y'avait pas de véhicules/[la région] n'était pas accessible aux véhicules! On n'avait vraiment que les caravanes! Les caravaniers, ils étaient épuisés / ils faisaient un travail épuisant, n'est-ce pas! Voilà comment ça se passait, à ce qu'on dit!Autrefois… On avait un oncle – l’un des fils de ma grand-mère maternelle – qu’on appelait kɤ˧zo#˥. Son nom complet, c'était kɤ˧zo˧-tsʰɯ˩ɻ̍˩. Lui, autrefois, il faisait du commerce par caravane! On lui confiait la conduite de caravanes entre Yongning et Lhasa, pour le compte du seigneur de Yongning. Nous autres, les enfants, on participait aux préparatifs, avant le départ des caravanes. On préparait de la farine de céréales pour la nourriture des chevaux. Si on partait pour une durée d'un mois, il fallait de la farine pour les chevaux pour tout un mois! (Note: il pouvait s'agir de diverses céréales: maïs, blé, sorgho…) Et la caravane emportait tout ça. Quand on revenait de Lhasa, on rapportait du thé, et aussi du beurre. On ramenait ces produits-là à dos d'animaux jusqu'à Yongning; certains d’entre eux, on les vendait sur place, et d’autres étaient expédiés depuis Yongning vers d’autres destinations.
Mon oncle, on le désignait comme "chef de caravane", autrefois! On parlait du "chef de caravane", et des "palefreniers". Les caravaniers les plus doués, ils chevauchaient l’une des deux montures de tête, et ils portaient le titre de "chef de caravane". (Note: ils avaient parmi leurs responsabilités celle du choix des marchandises achetées à destination, avec le produit de la vente de ce que la caravane avait apporté. Les deux chevaux qui marchaient en tête étaient magnifiquement bridés et décorés.) Quant aux palefreniers, c'étaient des assistants. C’était un statut prestigieux, d’être chef de caravane! Les gens disaient: "Oh! Voyez, il est en tête de la caravane! Ce sont les Latami qui dirigent la caravane!" On les appelait "les voyageurs", ceux qui partaient en caravane, autrefois! C’est à eux qu’on devait le thé et le beurre, précieuses denrées qui venaient garnir les réserves à la maison!
L’absence des caravaniers pouvait durer un mois, ou juste une vingtaine de jours. Par exemple, on partait dans le Sichuan, vers Xichang; on chargeait du beurre et du thé sur les chevaux, et on allait vendre tout ça dans le Sichuan, autrefois! Ca prenait un mois.
Quand ils revenaient à la maison, ils nous ramenaient toutes sortes de cadeaux, à nous qui étions restés à la maison! Pour un enfant: une paire de vêtements! Pour sa mère: des vêtements, une jupe! Pour sa petite sœur: une jupe! Pour sa sœur aînée: une jupe! Nous les filles, on n'était que trois, dans ma génération. Les trois sortes de cadeaux pour les femmes de la maison, c’étaient des robes, des chemises, et des ceintures de tissu. Et aussi la coiffe en fils tressés, qui sert à attacher la chevelure! On parlait de "rapporter des coiffes du Sichuan". Autrefois, à part celles qui venaient du Sichuan, les coiffes, ici, il n'en existait pas! Et pour les demoiselles de la noblesse, autrefois, c’était un accessoire indispensable. Les gens qui allaient dans le Sichuan, on leur demandait d'acheter des coiffes! des coiffes en satin! Nous autres, autrefois, on portait le costume na. De nos jours, on ne le porte plus, mais moi, j’en possède encore un, n'est-ce pas! Or le satin dont on se servait pour confectionner le costume na, il était acheté dans le Sichuan (=dans la région de Xichang). Pour quelqu'un qu'on aimait bien, on rapportait des cadeaux, par exemple une longue coiffe en satin! (Note: sa longueur pouvait atteindre vingt mètres; on l'enroulait tour après tour sur la tête.) "Eeeeh! Vous autres, votre grand frère va revenir!" disait-on aux femmes dont un frère était parti en caravane. "Il va vous ramener des coiffes en satin!" Voilà ce qu'on disait, quand une caravane était partie au Sichuan! Alors, l'homme qui était parti avec les caravanes ramenait à chacun un petit quelque chose.
Du Sichuan, on ramenait aussi du riz! On transportait du riz, et on le donnait au seigneur, qui commanditait les caravanes. Ou alors, si on avait un peu d'argent, on achetait une mule, puis un cheval, et on organisait sa propre caravane! (Explication: l’espoir des caravaniers employés par le seigneur était d’épargner de l'argent pour s'acheter ses propres chevaux, et se mettre à son compte. Pendant la courte époque où le commerce de Lhasa vers Lijiang eut une importance considérable, cette activité occupait parfois la majorité des hommes d'une famille: par exemple, dans une famille qui comptait trois hommes valides, un seul restait à Yongning pour les travaux des champs, et les deux autres faisaient du commerce en caravane.)
Les caravanes, il y a des chansons qui en parlent. On chantait: "Je rapporte du thé des pays lointains; mais de retour à la maison, j’apprends que ma mère est morte tandis que j’étais au loin! Quelle tristesse et à quoi bon de bonnes choses que ma mère n’est plus là pour partager!" Et encore: "Il est bien doux de boire son content d’infusion de pivoine, et de thé; mais si ma mère est morte tandis que j'étais au loin, alors à quoi bon, quel plaisir pourrait-on encore y trouver?" Cette chanson, elle évoque les racines de pivoine qu’on allait déterrer en montagne, et qu’on utilisait quand on n’avait pas de thé à la maison. Dans le temps j’en préparais souvent pour ma mère, des décoctions des copeaux séchés de bulbes de pivoine. Voilà ce que disait la chanson: "Si on n’est pas en compagnie de sa mère, des gens qu'on aime, comment pourrait-on savourer le plaisir des infusions de pivoine! Or voilà que ma mère est morte; alors à quoi bon!"
Les caravaniers, autrefois, ils ramenaient des tissus. Il y en avait des pièces toutes blanches, très longues, mesure après mesure! Avec deux mesures, on ne pouvait faire qu'une seule robe. Lorsqu'on achetait du tissu, c'est comme ça qu'on raisonnait: on calculait combien de robes on voulait en tirer, et il fallait le double de mesures de tissu. Pendant ce temps les gens au village disaient: "Aaaah! Ceux qui sont partis vers le Sichuan, ils vont ramener de quoi faire des robes!" Les jeunes filles, si elles avaient un bon ami parmi les hommes qui étaient partis en caravane, il leur ramenait des cadeaux! On disait aux jeunes femmes: "Eeeeh! Vous autres, votre ami va revenir! Vous allez pouvoir changer de vêtement!"
Mmh, j’ai oublié quelque chose. Le Sichuan, on allait aussi y faire le commerce du sel, n'est-ce pas! La ville de jɤ˧ŋɤ˧ (=Chengdu), c'est quoi son nom actuel? Moi je ne sais pas comment on l’appelle de nos jours! Eh bien, cet endroit, jɤ˧ŋɤ˧, les caravanes s’y rendaient fréquemment. Et aussi à ho˧di˧ (=l'actuel Sichuan: Yanyuan, Xichang…). Il y avait aussi une destination qui s'appelait ə˧ti˥ (=sans doute l'actuel Weixi 维西).
L'aîné des oncles, comme je disais, il portait le titre de "chef de caravane"! (mot tibétain) C'est l'équivalent de ce qu'on appellerait aujourd'hui "le patron" (mot chinois: 老板), n'est-ce pas! Il guidait toute la caravane, tout le monde le suivait! Quant à l'oncle cadet, qui s'appelait ʈæ˧ʂɯ˧-pæ˩pʰæ˩, on le chargeait du rôle de palefrenier! Il mettait les charges sur les chevaux; et il était aussi chargé de mener paître les chevaux. Le soir, on dormait là où les chevaux étaient parvenus. Le chef de caravane, il était dispensé des corvées effectuées par les palefreniers; il se reposait sous sa tente. On dépliait les tentes, on empilait les selles! Si le trajet durait un mois, on habitait tout un mois sous la tente! Voilà comment se passait un trajet en caravane. Les sacs en cuir, qu’on utilisait pour le transport, il y en avait de gigantesques!
Nous, les femmes, autrefois, on tissait le lin; et les hommes allaient vendre les tissus de lin dans le Sichuan. A chaque fois que les caravaniers partaient, ils emportaient tout le tissu de lin qu'on avait fabriqué. Ca ne se vendait pas bien cher. Voici ce que disait le proverbe: "Le Sichuan, on y perd nos tissus de lin; Lhasa, on y perd nos fils!" Autrefois, quand il partait à Lhasa, votre fils, il n'en revenait pas! Et le tissu de lin, quand les caravanes l’emportaient vers le Sichuan, c'est comme si on l’avait jeté par la fenêtre: on n'en retirait presque aucun argent! (Explication: le tissu de lin partait pour le Sichuan, où il n’était guère prisé et se vendait à bas prix; ce commerce ne rapportait que de maigres sommes d'argent. Les fils partaient à Lhasa pour s'accomplir comme prêtres, ou pour faire du commerce, et beaucoup n'en revenaient pas ou ne revenaient que bien longtemps après, car un marchand ne revenait de Lhasa qu'après avoir fait fortune, et un bonze qu'après avoir acquis la notoriété, faute de quoi la crainte de faire honte à leur famille les dissuadait de revenir. Le chemin était long et ardu; beaucoup n'avaient pas les moyens d'entreprendre le voyage de retour, et demeuraient à Lhasa; d'autres disparaissaient en chemin.) "On perd son tissu de lin dans le Sichuan; et son fils à Lhasa!" Voilà ce que disait le proverbe. Autrefois, les femmes, elles tissaient jusque tard dans la nuit. Certaines s'endormaient au travail; leur tête venait donner contre le montant du métier à tisser, boum! et le choc les réveillait; alors elles se remettaient à filer le lin, filer encore et toujours. Tout ça pour que ce soit ensuite vendu dans le Sichuan!
Ceux qui ne pouvaient pas y aller eux-mêmes, qui n'avaient pas dans leur famille d’hommes qui participaient aux caravanes, ils confiaient les tissus aux caravaniers, qui avec le profit de la vente leur achetaient des tissus de coton. Autrefois, tout le coton qu'on portait à Yongning venait du Sichuan!
Le tissu de lin, il y en avait des piles haut comme ça! On le pliait, couche sur couche, encore et encore. On en tissait des quantités! C'était ça la seule chose qu’on avait à vendre! Les voyageurs, après avoir vendu le lin, ils ramenaient du tissu de coton. Il me semble qu'il y avait aussi de la soie parmi les choses qu'ils ramenaient de jɤ˧ŋɤ˧ (Chengdu). Pour le petit frère, mon oncle ramenait un habit masculin, en soie! (Note: c'était un vêtement que les hommes portaient à partir de 13 ans: sorte de veste serrée à la ceinture, qu'on portait par-dessus la chemise, dans les grandes occasions: mariage, invitations…) A nous autres, les trois enfants qui n'avaient pas encore treize ans, il donnait une robe en soie. Ca ressemblait au vêtement de soie des dames qu'on voit à la télévision, dans les films historiques! Autre élément de costume, les chaussures. Elles étaient en cuir, cousues avec soin. Il y en avait de vraiment magnifiques! Elles n'étaient pas comme celles d'aujourd'hui!
On nous disait: "Eh bien! Vous voici comblés! Votre oncle chef de caravane va revenir, et il va vous donner des vêtements neufs!" Autrefois, l'oncle, qu'est-ce qu'il était généreux envers nous! Il nous achetait toutes sortes de cadeaux. Les neveux et nièces qui avaient un oncle talentueux, ils recevaient de lui de beaux vêtements, autrefois, et aussi de bien bonnes choses à manger! L'oncle était aussi très généreux avec les gens pauvres: il les accueillait à la maison.
Les chevaux, il en avait dix. Deux personnes de la famille partaient en caravane: il y en avait un qui jouait le rôle de palefrenier, et un qui était chef de caravane. C'est qu'ils conduisaient pas moins de dix chevaux! Si une seule personne y allait, elle conduisait quatre chevaux! Si on conduisait huit chevaux, là, on y allait à deux, et alors il y avait deux palafreniers, et deux chefs de caravane. Arrivés à la ville, les palefreniers s’occupaient des chevaux, tandis que les chefs de caravane se promenaient par la ville et faisaient des achats. C’est eux qui annonçaient: "Ce soir, on fera étape à lo˧ʂv̩˩! (=Luoshui, au bord du Lac) Demain, on parviendra à lo˧gv̩˩!" (=l'actuel Ninglang) Autrefois, quand on se mettait en route depuis Yongning, on passait la nuit à lo˧gv̩˩! (=l'actuel Ninglang) Quand on se mettait en route depuis Ninglang, on passait la nuit à pæ˧ɻæ˩ʈʂʰo˩! (l'actuel 红桥) De là, on ne peut parvenir que jusqu'à lo˧gv̩˩ (=l'actuel Ninglang) en une journée de marche. De Yongning à Ninglang, le trajet comportait trois étapes, autrefois! On passait trois nuits en route! (Note: autrefois, il fallait trois jours entre Ninglang et Yongning; sept jours entre Lijiang et Yongning; trois mois entre Yongning et Lhasa.) Au déjeuner, on ôtait leur selle aux chevaux, et on les menait paître. A nouveau, le soir, on leur ôtait leur selle; on préparait le campement. Des hôtels comme maintenant, ça n'existait pas! On dormait en pleine montagne, au bord du chemin, et voilà tout! Autrefois, on n'empruntait pas le même itinéraire que maintenant. (Note: la route actuelle traverse le fleuve Yangtze nettement plus en aval que là où les caravaniers qui allaient de Lijiang à Yongning le passaient autrefois.) On revenait en passant par le glacier de Lijiang (=l'actuelle mont Yulong). On vous faisait passer par un pont de corde au-dessus du Yangtze. Les chevaux, on les attachait avec un accessoire en bois qui coulissait sur le pont de corde. Une fois le cheval bien accroché, zou!!! on le lançait sur la corde au-dessus du fleuve. De l'autre côté, sur la falaise, quelqu’un agrippait le cheval. La glissière en bois, on la renvoyait par l'autre pont de corde, dont l'inclinaison permettait le passage dans l'autre sens; et ainsi de suite. C’est ça qu’on appelait "passer le Yangtze", autrefois! "Eeeh! Ce soir, les caravaniers, ils vont parvenir au Yangtze!" se racontaient les membres de la famille restés à la maison. Les femmes de la famille, elles comptaient les jours! "Ils doivent être parvenus ici, ils doivent être parvenus là; en tant de jours, ils seront ici, puis là, puis là…" Des téléphones comme maintenant, ça n'existait pas! S'ils ne revenaient pas, quelques jours après la date escomptée pour le retour, la famille commençait à s'inquiéter: "Hélas! Seraient-ils tombés dans une attaque de brigands? Hélas! Mon fils ne revient pas!" Sa mère était très inquiète! Elle courait de droite et de gauche, et s'enquérait: "Il paraît que quelques personnes du village de gæ˧ɻæ˩ [village proche de Yongning] faisaient partie de la même caravane; sont-elles revenues?" Ensuite elle repartait à la course, à nouveau elle posait des questions aux femmes des diverses maisonnées! On demandait des nouvelles aux gens qu'on connaissait, aux amis! Si on est parti ensemble, et que tu es rentré en premier, c'est à toi que ma famille demandera des nouvelles, n'est-ce pas! Si c'est moi qui reviens en premier, c'est à moi qu'on demande! Finalement, quelqu'un qui venait de rentrer donnait des nouvelles: "Ils seront ici d'ici ce soir! Ne vous faites pas de souci, allez!"
Mon oncle qui s'appelait kɤ˧zo˧, il était chef de caravane, c'est lui qui était chargé des achats, et qui portait l'argent! L'oncle qui s'appelait pæ˩pʰæ˧˥, il était rudement habile, lui aussi! Il prenait soin des chevaux. Ils allaient à Lhasa, et puis à Xichang, Yanyuan… Nous autres, autrefois, quand on ne savait pas où quelqu'un était parti au juste [dans le Sichuan ou le Yunnan: Chengdu, Xichang, Kunming…], on disait: "Il est parti dans les contrées chinoises! Ce coup-ci, ils sont partis prendre une cargaison de riz!" C'est qu'autrefois, à Yongning, il n'y avait pas de riz! On n'avait que le riz qui était amené par caravane depuis les contrées chinoises. Mais le seigneur, avec l'aide des Chinois, il a compris petit à petit: quelques familles de Chinois se sont installés; et comme ils plantaient quelques parcelles de riz, ça s'est transmis de proche en proche: vous, vous plantez une parcelle; nous; on plante une parcelle; et ainsi de suite. Voilà comment cette culture s'est répandue!
Les chevaux, dans une caravane, il pouvait y en avoir trente, quarante, cinquante à la file! Dans la plaine de Yongning, il y avait une troupe de chevaux qui appartenait aux gens du village de qʰæ˧tɕʰi˧; une à nous, les gens de ə˧lɑ˧-ʁwɤ˧; une des gens du village de gæ˧ɻæ˩! une des gens de la montagne de lɑ˧ŋwɤ˧! une des gens du village de ʈʂo˧ʂɯ˧! On se connaissait, on était amis, on se comprenait bien, alors on partait ensemble, en une même troupe. Les chevaux se suivaient, en une longue file, leurs clochettes faisaient "gling, gling, gling!" Les clochettes qu’ils avaient au poitrail faisaient "ding, ding, ding!" et les cloches faisaient des "Brroum, brroum, brroum!" (Note: les mules portaient des cloches qui rendaient un son plus grave.) Nous autres, les gens de la maisonnée, à l'approche de notre caravane, avant même qu'elle soient parvenue dans la vallée, on la reconnaissait à son bruit particulier! On disait: "Ooh! Les voilà, ils arrivent! Ooh! On entend les cloches du cheval de tête!"
C'était mon oncle aîné, le frère aîné de ma mère, qui conduisait les chevaux, et mon oncle cadet l'aidait. Quand ils étaient partis en caravane, sur le chemin, ils savaient qu'à tel ou tel endroit on courait le risque de rencontrer des brigands; ainsi prévenus, ils parvenaient à déjouer les brigands! (Note: les brigands connaissaient les caravaniers; ils choisissaient à qui ils s'attaquaient; certains caravaniers qui entretenaient de bonnes relations avec les chefs des brigands --désignés eux aussi comme 'chefs': /kʰv̩˧mæ˧-ʁo˧mi˧/, ton M-- étaient épargnés; des brigands qui s'en seraient pris à eux auraient eu affaire à leurs chefs.)
Autrefois, quand on passait le Yangtze, les brigands vous dévalisaient, et emportaient tout avec eux! Le cheval revenait à vide! (Les brigands volaient toutes les marchandises, et laissaient souvent repartir les chevaux; il était difficile de faire du recel et de la revente de chevaux, car les convois de chevaux ne passaient pas inaperçus, et les montures pouvaient être reconnues, tandis que les marchandises pouvaient aisément être maquillées, l'argent enfoui…) Autrefois, les chevaux de ma famille, on nous en a dérobé cinq! Voilà comment ça s’est passé. Une famille a employé un de mes oncles, pour partir en caravane; ça devait être des gens de lo˧gv̩˩ (Ninglang)! Ils avaient engagé cinq hommes, et ils étaient partis avec dix chevaux. Eh bien, les brigands, ils ont volé le tout! On n’a rien pu faire! (Datation approximative des événements: vers 1960: la locutrice avait déjà une dizaine d'années; elle s'en souvient car son oncle lui avait promis de petites babioles en argent, et la nièce triste et déçue se souvient de son retour sans fanfare.) Ca nous a flanqué une belle frousse! Voici ce que disait ma grand-mère: "Perdre de l'argent, ça n'est pas grave, mais si je perds mes fils…!" On a rassemblé tous les gens du village pour aller à la recherche de mon oncle. A la nuit, il est revenu. Il n'avait pas ses vêtements, il était tout nu! Il avait dû leur donner jusqu'à sa culotte! Les bandits avaient complètement épluché les gens de la caravane, et ils avaient emporté leurs vêtements! Ils avaient aussi emmené tous les chevaux. (Note: l'oncle qui s'est ainsi fait dépouiller était le second de la fratrie.)
Alors l’aîné des oncles a dit: "N'ayez crainte, n'ayez crainte! Moi, je vais racheter autant de choses qu’il en a été perdues!" (Note: parmi les marchandises de la caravane, il y en avait qui appartenaient à la famille: la cargaison de cinq des chevaux.) Et ensuite, vrai de vrai, il a racheté une cargaison, et il est parti la vendre, pour tourner la page de ce triste épisode.
Je réfléchis… ə˧ti˥dzi˩, c'était où, va savoir! Moi, je ne sais pas! ə˧ti˥dzi˩… Quand on allait à ə˧ti˥dzi˩, est-ce qu'on ne revenait pas par le Yangtze? Est-ce que ce serait l'endroit qu'on appelle "Baoshan"? Baoshan et… aujourd'hui, on parle de "Baoshan" [宝山] et "Fengke" [奉科], en chinois! Cet endroit-là, celui qu'on appelait ə˧ti˥dzi˩, autrefois, on y faisait un commerce fabuleux! On parlait des "vêtements de ə˧ti˥dzi˩"! Des tissus de coton, dont on ramenait de grandes quantités. Les femmes de Yongning, elles en achetaient! Il y avait aussi les ceintures de ə˧ti˥dzi˩; une ceinture, ça se vendait une pièce d'argent, d'autrefois! Alors, ça, ça avait vraiment de la valeur! Une jupe, ça coûtait précisément trois pièces d'argent! Un lot de dix bols, ça valait deux pièces d'argent! Pour donner un ordre d’idées, une famille qui avait rassemblé dix pièces d'argent à la maison, ça lui suffisait pour manger en abondance toute cette année-là. A l’époque, qui donc avait de l'argent par liasses entières, comme de nos jours?
Autrefois, ils allaient partout, les caravaniers! Notamment à Muli. La famille du seigneur de Muli, on les appelait "les kv̩˧tsʰɑ˥$ de Muli"! Autrefois, on connaissait le seigneur du monastère de Yongning; il connaissait les qualités des hommes de notre famille, et il a décidé de mettre mon oncle au service du seigneur de Muli, au service de la famille kv̩˧tsʰɑ˥$! (Résumé de cette histoire: Un des oncles de F4 a été donné au seigneur de Muli par le seigneur de Yongning, pour être à son service; mais après sept ans, il est revenu à Yongning. A son retour il parlait couramment la langue prinmi/pumi.) C’est que les seigneurs de Muli et du monastère étaient liés par des liens familiaux! Les seigneurs de Muli, et ceux du monastère de Yongning, ils étaient comme des frères! (Ils étaient notamment liés par des alliances familiales; d'après les souvenirs de la locutrice, une princesse de Yongning avait épousé un seigneur de Muli.) Ils étaient solidaires, ils s'épaulaient en cas de besoin! Par exemple, s'il y a beaucoup de gens par chez moi, je t'offre des sujets! Voilà comment des sujets du seigneur de Yongning pouvaient être mis au service du seigneur de Muli. C'est comme ça que mon oncle, autrefois, a été envoyé servir un temps les seigneurs de Muli. Là-bas, mon oncle a conduit des caravanes pour ce seigneur. Quand il revenait en caravane, il donnait au seigneur du monastère de Yongning ce qu'il avait rapporté; et à leur tour, les seigneurs du monastère expédiaient ces marchandises vers d'autres destinations. Une fois l'expédition en caravane terminée, il retournait jouer son rôle de sujet des seigneurs de Muli.
Mais mon oncle a conté fleurette aux jeunes filles, à ce qu'on raconte! et notamment à une bonne amie du seigneur de Muli. Alors, le seigneur de Muli s'est fâché, et il l'a renvoyé à Yongning! Il a voulu le rendre au seigneur du monastère de Yongning. Mais mon oncle a dit: "Ah non, ça ne marche pas comme ça! Je ne veux pas être le sujet du seigneur du monastère de Yongning, pas plus que du seigneur de Muli! Je vais former ma propre caravane!" Ce que disant, il est parti conduire ses propres caravanes! Dans notre village, des gens qui conduisaient les caravanes, il n'y avait que mon oncle, c’était le seul. Toutes les familles du village, celles qui avaient un cheval, elles venaient lui demander: "Oncle, s'il vous plaît! Oncle kɤ˧zo˧, veuillez conduire notre cheval, chargé de ses marchandises! On vous en prie! On partagera les bénéfices avec vous! Vous achèterez du sel et nous le ramènerez, vous achèterez du thé et le ramènerez!" Et ils lui confiaient leur cheval chargé de marchandises. Les gens comme lui, eh bien, aujourd'hui, on les désignerait comme des "patrons"! (mot chinois: 老板, auréolé d'un grand prestige dans la Chine du début du XXIe siècle)
Autrefois, c'était vraiment l'époque des caravanes! Personne ne restait chez lui à ne rien faire. Tous les hommes valides couraient les routes, avec les caravanes! Pendant la saison des pluies, les hommes restaient à Yongning avec leurs bêtes, et les femmes coupaient du foin pour les chevaux, elles prenaient soin de bien nourrir les chevaux! (Explication: pendant la saison des pluies, on ne se déplaçait guère; les caravanes ne se déplaçaient que pendant la saison sèche, où les chemins étaient plus pratiquables: de septembre/octobre à avril/mai.) Les caravaniers, ils faisaient vraiment un travail épuisant, n'est-ce pas! Voilà comment ça se passait, dans le temps!